Article de Jean-Marie de Boni, Directeur Général de La NEF, paru dans Vif Argent n°52
Depuis 2 ans, nous faisons face à une grave crise non seulement financière, mais aussi écologique, sociale et culturelle. Cette crise a pour origine l’ordonnancement des relations sociales et économiques, ou plutôt le désordre de ces relations. À commencer par la place de l’argent, passé de serviteur à maître.
Pour comprendre la dimension de cette crise, il est important de rappeler quelques faits1.
Le montant total des produits dérivés représente environ 20 fois le PIB mondial. Les actifs <toxiques>, des 20 plus grandes banques du monde, représentent 2 fois leur capitalisation. Ces banques sont donc virtuellement en faillite. Selon le Fonds Monétaire International (FMl), ces actifs <toxiques> représentent un risque de nouvelles pertes d’un montant équivalent aux pertes déjà subies, lesquelles ont été considérées comme <abyssales>. Afin d’éviter une autre crise, le FMI estime que la recapitalisation nécessaire aux banques serait d’au moins 200 milliards de dollars. Ceci en espérant que les risques de pertes potentielles évoqués ci-dessus ne se concrétisent pas.
Fin 2008, la finance mondiale a brûlé, en quelques semaines, 40% du PIB mondial soit quelque 25 000 milliards de dollars, l’équivalent de 5 mois de travail de toute l’humanité, ou bien encore de tous les Français durant 12 ans!
Dans le contexte social et environnemental que nous connaissons, il est plus que jamais nécessaire d’agir dans l’esprit de la discipline économique au sens étymologique du terme, celui de <gestion de la maison>2. Or, notre maison va devoir, en moins d’une génération, changer à la fois de mode de production et d’énergie. Cet effort colossal ne sera possible que si nous changeons de paradigme, à commencer par le système financier qui doit être dans son intégralité au service de la solidarité humaine.
La finance éthique est donc certainement porteuse de solutions. La Nef se rallie à ses acteurs européens pour formuler 6 propositions concrètes afin de réorienter le système financier vers la personne :
1- Retour de la banque à son rôle initial, c’est-à-dire d’intermédiaire capable de collecter et de sécuriser l’épargne dans le but unique d’octroyer du crédit en en assumant les responsabilités. Ceci implique la suppression de la titrisation et la séparation nette des établissements d’investissement et des banques d’intermédiation en empêchant le financement des uns par les autres.
2- Organiser la transparence relative à l’utilisation de l’épargne et aux prêts octroyés en contraignant les banques à publier la liste des bénéficiaires des crédits consentis.
3- Limiter la concentration bancaire afin de permettre le contrôle effectif de tous les organismes financiers, sans aucune exception, par des autorités compétentes. La concentration sans limite crée des établissements dont la taille et la complexité rendent inopérante l’éventuelle intervention du régulateur en charge du contrôle de ces établissements. En France, ce mouvement de concentration a entraîné le Crédit Coopératif dans le nouveau Groupe Banque Populaire-Caisse d’Épargne (BPCE).
4- Supprimer les paradis fiscaux. Outre le fait que les paradis fiscaux sont le lieu de tous les recyclages d’argent sale, ce qui en soit les condamne, ils permettent aux établissements financiers de tous ordres d’échapper à la vigilance des régulateurs.
5- Réviser les normes IAS (lnternational Accounts Standard), des règles comptables qui ont rapidement montré leurs limites, notamment au travers du fameux principe <mark to market> : évaluation des actifs à la valeur du marché. Ce qui non seulement contribue à fausser la réalité au seul profit de l’actionnaire, mais qui en plus est largement pro-cyclique (emballement du système quelle que soit la direction prise). Retour donc aux critères d’une gestion saine et prudente, fondée sur une valorisation à valeur d’usage.
6- Réviser les règles de Bâle 2. Bâle 2 constitue un corpus de règles encadrant la prise de risques par les banques. Nous proposons un Bâle 3, dans lequel il soit tenu compte des actions sociales et environnementales des entreprises afin de pondérer favorablement les risques pris au travers des crédits consentis à ces organisations. Les principes des banques éthiques ont contenu la crise plus que toute autre banque en soutenant des entreprises considérées comme plus risquées selon Bâle 2 mais qui exercent un rôle social majeur et respectent les générations futures.
Si, tous ensemble, nous gagnons ce pari, nous en sortirons tous un peu différents mais très certainement beaucoup plus heureux. Si nous le perdons, nos enfants nous accuseront3.
1Sources : L’Expansion du 31/12/2008, http://www.lexpansion.com.
2Économie : provenant du grec ancien formé des mots oïkos (< maison > et nomos < loi>, signifiant << gestion de la maison >>.
3Nos enfants nous accuseront: film documentaire réalisé par Jean-Paul Jaud en 2008.
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